WAKANDA EXISTE

Djoudie (Jude) Etoundi
12 min readApr 4, 2018

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L’Afrique est un moteur de la Science et de la Technologie mondiales et sera un de ses futurs leaders.

Kigali

Wakanda a retenu l’attention de quasiment le monde entier depuis le 16 Février 2018, et pas uniquement des mondes noirs. La présentation de cette nation Africaine fictive dirigée et protégée par Black Panther dans le dernier film de superhéros des Studios Marvel a captive le public à travers le monde grâce à son souffle épique, des personnages crédibles servis par des acteurs solides, des scènes d’action impressionnantes et une célébration sans complexe des cultures Noires et Africaines; et des femmes noires en particulier. Sans doute le plus choquant pour une majorité (bien que trop politiquement incorrect pour être admis publiquement) aura été de voir une nation typiquement Africaine présentée comme la plus technologiquement capable et scientifiquement avancée au monde.

Mais la surprise face à l’essor de l’Afro-futurisme n’a pas lieu d’être : d’abord parce que le mouvement pour marier les cultures Africaines et la science-fiction est en cours depuis des décennies ; mais surtout parce que le leadership dans les sciences et la technologie mis en avant par Wakanda, bien qu’original et nouveau pour Hollywood, est une réalité des maintenant à travers toute l’Afrique. En fait, on pourrait même dire que Wakanda est moins un travail de science-fiction que de science-anticipation, et de seulement quelques décennies.

L’Industrie Spatiale en Afrique

Commençons par l’industrie de l’espace, probablement l’industrie Africaine à forte croissance la moins connue: bien que le continent n’ait toujours pas de Space X, les agences spatiales nationales et l’exploration de l’espace en Afrique ont connu une renaissance ces dernières années, après des phases de croissance dans les années 60 et 70. La NASDRA du Nigeria est en train de cartographier les réserves de pétrole et de gaz du Delta du Niger tout en poursuivant les terroristes de Boko Haram à l’aide du NigComSat-1R, le premier satellite a orbite géosynchrone du continent, et de quatre autres satellites; pendant que la SANSA d’Afrique du Sud conduit la participation de plusieurs pays Africains au projet international de Square Kilometer Array, le plus grand radio télescope au monde, destine à explorer l’espace lointain. Le NigComSat-1R a été mis en orbite par un lanceur Chinois. Le GhanaSat1, un 1U CubeSat qui cartographie et surveille la cote du Ghana, a quant à lui été lance depuis la Station Spatiale Internationale après y avoir été déposé par la fusée Space X. L’AngoSat1 de l’Angola les a rejoints en Décembre 2017, quand les autorités Russes ont finalement rétabli le contact avec le satellite, suite a des difficultés lors du lancement. L’Ethiopie et le Kenya sont en train de construire eux-mêmes leurs satellites. L’Egypte, l’Algérie, le Maroc et la Libye ont tous déjà des satellites en opération, à usages civil et militaire. Ce dynamisme récent dans l’industrie spatiale a conduit l’Union Africaine (UA) à lancer les bases pour une agence spatiale transcontinentale, qui inclura un ou plusieurs lanceurs.

La Révolution des Portables en Afrique

Les téléphones portables par contre, sont devenus un exemple très connu de saut technologique sur le continent. Cependant, les conséquences stratégiques de cette réussite restent trop souvent ignorées : 1 milliard de consommateurs Africains à la Base de la Pyramide (BOP) et avec des revenus en croissance sont en train de passer directement aux smartphones, et d’ici 2050, leur nombre sera de 2 milliards. Au fur et à mesure que les trois tendances de l’acquisition de nouvelles technologies, et de la croissance des revenus et de la démographie vont s’additionner, les flux vont s’inverser : les normes, tendances et innovations venues des consommateurs BOP Africains deviendront les normes, tendances et innovations du marché mondial, y compris dans les Marches Développes (DMs).

Le Mobile Money en Afrique

C’est déjà une réalité : avec comme exemple probant M-Pesa, la plateforme de Mobile Money créée par et pour les Africains au Kenya, et qui s’est diffusée ensuite en Asie du Sud, de l’Est et Centrale, en Europe de l’Est et en Amérique Latine, et qui a servi de modèle pour Apple Pay et Amazon Pay.

Cette croissance s’est étendue au-delà des paiements pour inclure les comptes courants, l’épargne, les prêts, l’investissement et l’assurance, faisant de l’Afrique le leader Mondial dans la gamme complète des Services Financiers Mobiles (SFM): avec plus de la moitié des 282 services de Mobile Money en opération dans le monde localises sur le continent et 100 millions de comptes de Mobile Money utilises par 1 Africain adulte sur 10 ; et des revenus annuels par usager actif de $29. L’Asie du Sud, la deuxième région au monde quant à elle, totalise 40 millions de comptes actifs avec un taux de pénétration adulte de 2,6%.

Les Portables Africains et le Commerce des Matières Premières

Les échanges et les prix des matières premières, en particulier des matières premières agricoles, sont une autre industrie qui a été transformée par l’usage des téléphones portables en Afrique, des lors que les paysans Africains ont pu soudainement comparer les prix de manière efficace aux niveaux national et international et ainsi éliminer les intermédiaires parasites. A ceci s’ajoute désormais l’avènement des échanges par blockchain qui transforme également les flux financiers. D’une manière générale, l’enthousiasme en Afrique pour les services blockchain va devenir une disruption créatrice qui ira au-delà de ces domaines et atteindra des fonctions telles que la collecte des impôts, et la gestion des données administratives, gouvernementales ou sur la propriété foncière.

L’explosion des tech hubs sur le continent est tout à la fois un résultat et une preuve de la centralité de l’Afrique sur le marché mondial des TIC : avec plus de 300 hubs actifs parmi lesquels se trouvent la Yabacon Valley au Nigeria, iHub au Kenya, le CTIC au Sénégal, Outbox Hub en Uganda ou les deux centres d’Excellence IT du Cameroun. Cette centralité explique pourquoi des firmes comme Facebook, Google, Microsoft ou Alibaba ont toutes des initiatives en cours pour augmenter leur présence sur le continent.

Les Drones Africains

Les drones pour leur part, sont un secteur ou plusieurs émules réels de Shuri, la sœur de T’Challa douée d’un génie scientifique hors pair, sont des pionniers : le Rwanda est devenu en 2016 le premier pays au monde dote d’un service de livraison par drones, compose de « drones cargos » assurant jusqu’à 150 livraisons de nourriture et de médicaments et qui sera bientôt étendu au niveau national. Zipline, l’entreprise de la Silicon Valley qui s’est associée au Rwanda, a étendu ses activites à la Tanzanie voisine en 2018 pour construire le plus grand service de livraison par drones au monde : plus de 100 drones dans quatre centres de distribution de drones réalisant jusqu’à 2000 livraisons par jour a plus de 1000 hôpitaux desservant plus de 10 millions de personnes. De plus, le Rwanda est en train de finaliser le premier “port pour drones” au monde d’ici 2020 et a déjà mis en place une politique de « règlementation basée sur les résultats » pour attirer les investisseurs étrangers vers son industrie naissante.

L’une des raisons majeures qui a conduit Rice University à établir un partenariat avec le Rwanda est le cadre règlementaire du pays, qui rend les tests et acquisitions de brevets beaucoup plus rapides et moins chères qu’aux USA. William Elong, createur de la firme Will and Brothers au Cameroun vient de créer et de produire des modèles de drones qui seront dirigés par son Intelligence Artificielle (IA) maison, le Cyclop. La firme prévoit que ses drones seront 25 fois moins cher que les prix actuels du marché. Le Nigeria produit déjà ses propres drones et d’autres, parmi lesquels le Malawi, le Kenya, l’Ouganda et l’Afrique du Sud sont en train de créer leurs propres industries.

Les Technologies Médicales en Afrique

Une mention spéciale doit être faite sur les technologies médicales, ou en écho aux exploits de Shuri a “réparer les garçons blancs abimes”, les Africains utilisent la convergence de différents types de technologies: avec des inventions telles que le Cardiopad, une tablette rassemblant les fonctions d’un cardiographe, d’un radioscope et d’un tensiomètre, créée par Arthur Zang au Cameroun et désormais produite au Cameroun et en Chine a des prix fortement réduits; avec des programmes comme celui du Rwanda avec Rice University sur la réduction des couts pour la sante néo-natale, d’où a été breveté et produit localement des incubateurs pour nouveau-nés, charges a l’énergie solaire et aux prix réduits de 6000 US$ a 400 US$; ou encore avec des institutions comme le Central Public Health Laboratories en Ouganda, le plus grand centre de recherche au monde sur l’Ebola et d’autres risques pandémiques et qui attire des centaines de millions de dollars pour la recherche épidémiologique de la part de l’OMS et du CDC américain, entre autres. Une réussite imitée par la République Démocratique du Congo (RDC).

Les biotechnologies en font partie aussi : en particulier les biotechnologies agricoles ou les nations Africaines se créent une niche et en répandent les fruits. Simultanément, des hubs de biotechnologies sont en cours de réalisation en Ethiopie, Ouganda, au Kenya et ailleurs, parmi lesquels le BioPark Mauritius déjà en activité a l’Ile Maurice, multidisciplinaire, et ou des multinationales de matériel médical Européennes produisant 5% de tous les cathéters vendus dans le monde, sont déjà présentes.

Les « drones cargos » mentionnes précédemment au Rwanda et en Tanzanie seront aussi utilisés pour le transport de personnel médical d’urgence ou pour extraire des patients en condition critique vers les établissements appropries.

La Télémédecine Africaine

Le résultat de cette convergence est que l’Afrique est aussi pionnière dans toute la filière de la Télémédecine: la Zambie, le Kenya, la RDC, la Tanzanie et le Nigeria entre autres systématisent l’usage des dossiers médicaux numériques, y compris à travers la technologie blockchain. En réponse à la dernière crise Ebola, le Liberia et la Sierra Leone ont teste sur le terrain le VGo, un robot qui enregistre les données des patients en quelques minutes et permet des échanges sans fil avec le personnel médical éloigné, et le Clinipak, un système de gestion portable des données médicales, charge à l’énergie solaire et capable d’héberger son propre réseau Wifi.

Les Smart fabrics, des vêtements qui grâce à la nanotechnologie suivent les signes médicaux vitaux de leur utilisateur, sont entrain de rapidement devenir un autre secteur d’innovation médicale Africaine.

Etant donné que, loin de se limiter à apprendre ces savoirs, les Africains développent également des chaines de production moins chères et introduisent de nouveaux produits, il faut s’attendre à retrouver la Télémédecine et la technologie médicale Africaines exportées quelque part près de chez vous, dans les Pays Développés.

Tout ceci explique pourquoi et comment entre 2000 et 2010, le secteur de la sante a commence a contribuer plus à la croissance économique annuelle du continent que celui des portables.

Les Greentechs et les Energies Renouvelables en Afrique

A l’instar du Wakanda, le leadership technologique de l’Afrique s’étend aussi aux greentechs et aux énergies renouvelables, dont la croissance cumulée devrait atteindre 70% d’ici 2022: en Mai 2016, le Rwanda a mis en activité le KivuWatt, une plateforme de gaz flottante et la première installation au monde à produire de l’électricité à partir du gaz, destinée à extraire du méthane des eaux du Lac Kivu pour générer 26 MW d’électricité. La Phase 2 du projet augmentera la production d’électricité à 100 MW. Canalisé par les technologies appropriées, le méthane du Lac Kivu pourrait produire jusqu’à 960 MW, plusieurs fois la consommation totale du Rwanda. En parallèle, le Hilli Episeyo au Cameroun est devenu en Mars 2018 la deuxième unité flottante de gaz naturel liquide (FLNG) au monde, avec une production annuelle de 1,2 millions de tonnes, et est en passe d’être reproduite bientôt à travers l’Afrique Centrale et de l’Ouest.

Les 2,8 MW générés par le Gorge Farm Energy Park au Kenya, la plus grande centrale électrique basée sur le biogaz, sont assez pour cultiver près de 800 hectares, pour fournir de l’électricité a 6000 foyers et pour égaler la production annuelle de 5 millions de litres de diesel. La ferme est aussi la première usine de Digestion Anaérobie du continent (un processus ou les matières organiques sont transformées en énergie dans un milieu sans oxygène), et a comme un de ses produits dérivés, 35000 tonnes d’engrais naturel. Par ailleurs, la ferme vend son électricité au réseau national a moins d’un tiers du prix de l’électricité produite par diesel. Le potentiel du biogaz au Kenya est estime à 131 MW et les projections montrent qu’en affectant juste 1% de ses terres arables à la digestion anaérobie, le pays pourrait produire 1800 MW, presque la totalité de sa consommation d’électricité actuelle.

Les 160 MW du projet Noor I au Maroc, qui vont croitre à 2000 MW sur plusieurs phases et seront exportes vers l’Europe, ainsi que les 175 MW du parc solaire de De Aar en Afrique du Sud offrent des exemples de comment peut évoluer l’énergie solaire sur le continent. Entre ces deux pôles, des parcs solaires sub-Sahariens aux tailles beaucoup plus réduites sont entrain de pousser par dizaines, parmi lesquels le parc solaire Agahozo de 8.5 MW au Rwanda, le parc solaire Soroti de 20 MW en Uganda ou le projet Senergy 2 de 20 MW au Sénégal. La plus grande centrale hybride thermique-solaire au monde a été lancée au Burkina Faso en Mars 2018 et ses 72 MW de production combinée approvisionneront la mine d’or d’Essakane tout en réduisant la consommation annuelle de fioul et les émissions de CO2.

Le Kenya pour sa part, a localise sur son territoire toute la chaine de production de l’énergie solaire depuis 2011 avec Solinc East Africa, le premier fabriquant local de produits photovoltaïques, qui vise 5 millions de clients d’ici 2018.

En parallèle, le marché de l’énergie solaire hors réseau au potentiel de plusieurs milliards de dollars attire des entrepreneurs locaux et des entreprises multinationales qui utilisent les technologies mobiles pour créer des nouveaux modèles de revenus. Et avec comme résultat : pour la première fois en Afrique sub-saharienne, le nombre de personnes vivant sans accès à l’électricité a baissé en valeur absolue.

L’Afrique du Sud, une Puissance Mondiale en Charbon Propre

Etant donné que l’Afrique du Sud produit plus de 90% du charbon consommé en Afrique et contient 33 milliards de tonnes courtes sur les 35 milliards de réserves récupérables sur le continent, son essor comme hub pour les technologies du charbon propre et pour le captage et le stockage du dioxyde de carbone, à travers l’initiative FP7 avec l’UE ou à travers des joint-ventures internationales est un atout stratégique pour la consommation d’énergie en Afrique.

La RDC: Géant dormant de l’Hydro-Energie en Afrique et Arabie Saoudite du secteur TIC Mondial

Mais peut être que la plus grande source d’énergie en Afrique, renouvelable ou traditionnelle, se trouvera être l’hydro-électricité, avec des dizaines de milliards de dollars qui affluent déjà pour financer des dizaines de barrages hydro-électriques à travers l’Afrique de l’Ouest, Centrale, de l’Est et dans le Sud. Le changement radical dans ce secteur néanmoins aura lieu si et quand le projet de barrages hydro-électriques Grand Inga sera achevé : une prouesse d’ingénierie évaluée autour de 100 milliards dollars et visant à générer 42000 MW à partir du fleuve Congo, il serait équivalent à 20 centrales nucléaires et à la moitié de la consommation annuelle d’électricité du continent entier, RDC comprise.

La RDC nous amène à un parallèle encore plus frappant entre le Wakanda fictif et l’Afrique réelle : le cobalt, un minerai essentiel pour les batteries de téléphones portables, pour celles des voitures auto-conduites et pour le fonctionnement des systèmes d’IA. Les 2/3 du cobalt consommé dans le monde proviennent de la seule RDC. Hmmm, quelqu’un d’autre pense au vibranium ?

De manière peut-être encore plus troublante, alors même que la RDC rétablit son contrôle national sur les sociétés minières de cobalt, le pays est en prise avec une bataille féroce pour la succession a son président et avec des bruits de bottes persistants à ses frontières. Hmmm, est-ce que l’intrigue de Black Panther est vraiment une fiction…

Un Nouveau Saut Surprise de Technologie ?

A mesure que ces différentes tendances convergent, un autre saut technologique par surprise devient apparent: l’Afrique est entrain de maitriser les TIC au niveau des logiciels et des matériels et son sous-sol contient déjà les minerais nécessaires pour les différents produits qui en seront issus; au même moment la production automobile sur le continent est en plein décollage avec entre autres la ligne Kantanka du Ghana, la Innoson Company du Nigeria, la Kiira EV Smack hybride électrique de l’Ouganda ou la future ligne Star of Africa du Cameroun; parallèlement la mise en place des infrastructures, des routes et autoroutes en particulier, a le vent en poupe à l’échelle continentale. Le résultat est que les économies Africaines sont dans des positions idéales pour passer directement aux voitures auto-conduites et autres véhicules diriges par IA. Au fur et à mesure que cette transformation a lieu, personne ne devrait être surpris de trouver plusieurs nations Africaines en position de rivaliser avec les USA, la Chine et la Russie dans ce secteur aussi.

L’Avenir de la Technologie est Afro

Alors, comment évoluera le paysage scientifique et technologique du continent à l’avenir ?

Est-ce qu’un « T’Challa » va s’élever, un Google ou un Jack Ma Africain qui deviendront dominants sur les différentes économies nationales ?

Peut-être devenant suffisamment puissants pour devenir des «Kilmongers » capables de rivaliser avec les Apples ou les Microsofts sur leurs marches d’origine ?

Ou peut-être que l’innovation Africaine suivra la sagesse traditionnelle Wakandaise du General Okoye, chaque pays ayant une industrie suffisamment développée pour ses propres besoins mais en restant éloignées des alliances internationales.

Toutefois, les secteurs de la haute technologie en Afrique pourraient aussi bien émuler la guerre civile du Wakanda, avec des « W’Kabis » et des « M’Bakus » de différents pays montes les uns contre les autres par des IBMs, Xiaomis, Sonys, Samsungs ou Nokias « colonisateurs ».

Hmmm, l’attente pour la suite de Black Panther va être très longue…

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Djoudie (Jude) Etoundi

Afro-politan, Thunderbird MBA based in DC, Investment Advisory on Africa’s Frontier Integration to the Global Economy.